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Mes écrits - par Luckner
31 août 2011

Là où l'on se retrouve (Episode 1)

Je vous présente mon premier roman, il s'intitule : Là où l'on se retrouve.

Je ne vous en dit pas plus et je vous laisse à votre lecture.


Voilà trois fois déjà que cet imbécile de Cardon nous racontait sa dernière matinée de chasse dans sa propriété d'Avignon, ennuyeuse par essence donc, et comment il s'y était pris pour achever un lapin, gibier du dimanche, avec son tout nouveau couteau. Il était opiniâtre sur les détails. Les phrases se bousculaient dans sa bouche, ne laissant pas le temps à sa langue d'arbitrer le passage des mots. Particularité qui n'était pas dû à l'excès d'alcool chez Cardon, mais plutôt à une inaptitude génétique à résister à l'excitation provoquée par une prise de parole en publique. Bien sûr, le comique qui résultait de la juxtaposition de ses joues rougies et de ses cheveux collés à son front par une sudation abondante rendait la scène à la fois risible et pitoyable - des sentiments que l'on retrouve souvent mêlés il faut l'avouer – mais le club dans lequel je me trouvais était habitués à ce genre de spectacle désespérant pour l'homme de la rue, et pourtant, on ne devine pas la simplicité avec laquelle on devient vite familier à la platitude des choses lorsqu'elle nous est exposé avec tant de régularité. Un club : une farce héritée des anglais, fait en principe pour exposer des idées, avec le temps les ambitions s'y sont affichées, et puis les complots et enfin toute la pourriture de la société. Les engeances qui s'y retrouves sont toutes sales de leur rang, de leur isolement. Les clubs baignent dans la calomnie, le mensonge collectif, fait pour sauver des apparences déjà trop entamées par l'hypocrisie. C'est ce qui les a tués les clubs, les apparences. A trop nourrir les ambitions sectaires, on finit par s'observer soi-même avec trop de prudence. Ils en meurent du Mc Carthysmeles clubs, ils se débattent dans cette toile sans fin qui conduit irrémédiablement à leur mort. Mais de fait, cet aréopage était une fourmilière d'homme de pouvoir. Des barons locaux qui avaient une emprise sur la moitié de la ville, et comptaient sur leur réseau de connaissances pour l'autre moitié. En somme, que des gens fréquentables. C'était effectivement une prérogative pour pouvoir intégrer le club.

Moi je n'étais ni puissant, ni possesseur. J'étais admis en qualité d'intellectuel, car le milieu en manquait cruellement. En fait, les penseurs avaient leur propre club, et ceux-là étaient encore plus insupportables pour les non-initiés. Sous leur faux air d'humaniste, les professeurs et les docteurs côtoyais les écrivains douteux en se parant des oripeaux du communisme, feignant d'oublier qu'elle était morte avant même d'être née, leur utopie. Dans ces microcosmes provinciaux, on observait soit avec dégout, soit avec admiration la capitale. Dans notre cas, Paris était loin, très loin de nos préoccupations prosaïques. C'est pourquoi j'étais une sorte d'intellectuel silencieux, et cela me convenait. On m'accordait le titre de chercheur, de manière honorifique je pense, car mes publications scientifiques se limitaient à ma thèse sur l'utilisation des nombres premiers dans la cryptologie et à un article, très pertinent selon moi, sur les méthodes algorithmiques pour effectuer des conversions entre systèmes numériques. Pour être honnête, je crois que peu de membres du clubs avaient connaissances avec exactitude de mes activités professionnels. Il était plus ou moins admis que mon métier n'avait d'importance que dans l'ésotérisme des sciences, et tout le monde se contentait de me demander, sur un ton oscillant entre le sérieux et l'humour, si j'avais pour ambition de décrocher un prix. Le tout dans les clubs, c'était donc d'y rentrer. Après, on pouvait se contenter, de temps à autres, de donner un avis inutile sur les dernières nouvelles médiatiques, ainsi que des pronostics très large sur l'évolution de la vie politique.

Pour ma part, je ne souhaitais pas m'établir socialement ou être reconnu par mes pairs. Je m'amusais à me confondre parmi les niaiseries de bienséance, à tromper la solitude existentielle des mois d'hiver en me réchauffant de discours caustiques et autres présupposés de classe. Plus qu'une distraction, c'était mon vice, mon calice social. J'y troquais la platitude de ma vie contre une source constante de nouveauté. Et puis, parfois il arrivait qu'on y fasse une rencontre. Pas une rencontre plate et stérile avec ceux qui viennent pour se faire connaitre, mais une rencontre d'un genre plus profond. Inutile de se chercher, un magnétisme nous arrache à l'oisiveté ambiante. Aucun regard, aucune parole ne se justifie, on se comprend. Ce n'est pas une surprise de rencontrer la probité dans les endroits les plus sales de la faiblesse humaines, c'est ce qui fait la beauté de l'amitié. Ainsi, depuis quelques semaines je ne venais plus au club pour la vacuité intellectuelle qu'on y trouvait, mais pour y parler à un ami. On échangeait sur beaucoup de choses, en fait tout ce qui pouvais nous permettre de prendre positions. Car à défaut de se connaitre personnellement, on sondait nos opinions ; tantôt s'accordant sur une analyse, nous nous déchirions quelques minutes plus tard sur une autre. Peu importe les docteurs ou les professeurs, nous ne nous laissions par distraire par l'assemblée, pourvu que l'on ne soit pas dérangé. Notre place était établit à l'aile gauche de la salle, à côté d'un magnifique quart de queue Pleyel, ce qui donnait une allure de sanctuaire artistique à notre repaire. Ce soir, mon ami était en retard par rapport à l'habitude informelle que nous avions prise de nous retrouver à l'heure d'ouverture du bar - sans que cela n'ait de rapport avec notre consommation d'alcool soit dit en passant. Je n'avais d'autre choix que de revenir à l'occupation si terne d'écouter les fables quotidiennes de l'aristocratie, qui autrefois me plaisait tant. Quand je commençais à somnoler d'un assourdissement monotone, mon ami Thomas arriva précipitamment mais silencieusement, comme pour s'excuser de son retard.

- J'espère que vous avez une raison suffisante pour expliquer votre absence alors que monsieur le vicomte nous narrait ses exploits, aucun homme raisonnable ne voudrait manquer un spectacle si distrayant, lui fis-je remarquer avec complicité.

- Vous dites ça parce que vous savez que je ne suis pas un homme raisonnable mais un homme de raison. Je prends garde de ne pas tomber dans le vice du siècle.

- Vos apophtegmes ne vous sauveront pas toujours des situations délicates malheureusement. Mais ils vous donnent un certain aplomb, lui concédais-je, toujours souriant.

- Je peux ? demanda-t-il en désignant la place dans le fauteuil à ma droite. Et sans prendre la peine d'attendre ma réponse, il s'assit. Nous ne nous sommes pas vu depuis la semaine dernière je crois Paul ?

- effectivement, cela fait bien quatre jours. J'observais quelques mètres plus loin un homme qui se déplaçait de groupe en groupe. Pourquoi ? Et je repris pour le déstabiliser, Vous prenez goût à la vie mondaine ? Il sourit avec emphase.

- Je ne faisais qu'introduire l'anecdote de ma fin de semaine.

- Votre fin de semaine ? Je n'étais pas autant intrigué par son récit que par le fait qu'il me raconte pour la première fois sa vie.

- Je ne pense pas que ça vous ennuiera, je crois même que vous allez être intéressé. Il fit une pause, guettant une réaction qui trahirait mon curieux. Lassé d'attendre, il enchaîna : dimanche dernier je suis allé déjeuner chez ma sœur. Il y avait également son mari et un de ses amis de travail.

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Commentaires
J
Bien le bonjour Luckner ! <br /> Me voilà à la fin de la lecture de ce début intriguant. Et il m'intrigue ! <br /> J'aime beaucoup la façon avec laquelle tu nous fait rentrer dans l'histoire comme si nous y avions toujours étés. J'y ai trouvé une certaine audace, une audace subtile. Que l'on retrouve un peu partout dans ton style.<br /> <br /> Ce dernier n'est pas aussi brutal et bordélique que le mien, par exemple, qui consiste parfois à faire des phrases très courtes ou bien d'autres particulièrement longues, ces phrases longues et affreusement assommantes qui fond souffrir le lecteur, lui font perdre son souffle, sa salive, sa sueur, sa morve, à un tel point que je n'ai moi-même pas le courage de lire certaines de mes phrases jusqu'au bout à voix haute sans faire une petite pause de quelques secondes afin de ne pas me faire achever.<br /> Par une courte.<br /> <br /> Ton style, j'ai déjà eu plusieurs occasions pour le lire, il n'est pas aussi chieur que le mien. Il sait l'être, avec des mots compliqués, mais tout en restant vraiment respectueux et agréable, c'est ça que j'aime beaucoup. Avec moi on en aurait marre en 50 pages et on jetterai mon bouquin par la fenêtre. Avec toi on se sent bien d'en lire 500.<br /> <br /> Mais pour ne pas s'arrêter à la forme, parlons du fond. (Parce que c'est quand même plus intéressant...). Pour l'instant je pense que je n'ai pas assez avancé dans la lecture pour vraiment donné une opinion dessus, mais bon. J'aime beaucoup le raisonnement philosophique-social que tu nous proposes au début. J'adhère. D'autant que je crois connaitre une amitié semblable. <br /> Je préfère m'arrêter là et attendre la suite pour ne pas dériver dans la sur-interprétation. <br /> <br /> Je te souhaite de continuer ainsi !
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